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lecteur, ce qui n'est ni judicieux ni honnête, et il n'est pas étonnant qu'on s'en soit dégoûté. Quant à la seconde, lorsqu'elle n'est pas une ruse littéraire aussi méprisable que tant d'autres, elle est la ressource et la preuve de l'impuissance du critique, qui, ne pouvant lutter corps à corps, dans un ouvrage à part, contre l'auteur qu'il attaque, le harcèle ainsi dans des notes, qui sont bien plus faciles à rédiger. Qu'en résulte-t-il pour l'ordinaire? que le lecteur ne sachant auquel entendre, achève l'ouvrage ainsi commenté, sans savoir à quoi s'en tenir. Nous en appelons à tous ceux qui ont lu certaines éditions de l'Esprit des Loix, et sur tout la dernière édition française de Winckelmann, où trois ou quatre commentateurs le combattent et se combattent sans cesse.

Mais après un long commentaire, le plus grand tort d'un traducteur est peut-être d'arrèter ses lecteurs dans un long avertissement. Nous allons nous hâter de terminer celui-ci.

Lessing avoit le projet de donner son Laocoon en deux ou trois volumes, mais il n'en a jamais publié qu'un seul. Après sa mort, son frère fit imprimer, comme supplément d'une nouvelle édition, tout ce qu'il trouva

de matériaux rassemblés par l'auteur pour la continuation de son ouvrage. Nous ne donnons point ici tout ce supplément, composé en partie de fragmens isolés. Mais nous avons cru devoir en conserver les morceaux les plus complets, et ceux qui font connoître le plan de la seconde partie. Sans prétendre que la publication de ce plan et de ces maté riaux puisse engager quelque écrivain français à compléter l'ouvrage, il nous est peut-être permis d'espérer que dans l'état où il paroît, il réveillera l'attention du public sur la théorie des arts, et qu'il donnera naissance à d'autres traités, destinés à étendre les idées de Lessing, ou à les combattre. Tel est ordinairement le sort des livres qui font penser, et ce n'est leur moindre mérite. Ce seroit au moins

pas

la récompense la plus flatteuse que le traduc teur pût obtenir de son travail.

CELUI qui compara le premier la peinture et la poésie, étoit un homme d'un sentiment exquis, lequel reconnut en lui-même un effet semblable de ces deux arts. Il sentit que tous deux nous rendent présens les objets absens, nous donnent l'apparence pour la réalité ; que tous deux nous trompent et nous plaisent en nous trompant.

Un second voulut pénétrer l'essence de ce plaisir, et découvrit que dans ces deux arts il découle de la même source. La beauté, dont la première idée nous est fournie par les objets physiques, a des règles générales qui peuvent s'appliquer à d'autres objets; aux actions et aux pensées, aussi bien qu'aux formes.

Un troisième, qui réfléchit à la valeur et à la division de ces règles générales, observa qu'elles dominoient davantage, les unes dans la peinture, les autres dans la poésie; que par conséquent la peinture pouvoit fournir à la poésie des explications et des exemples. des premières, et recevoir d'elle pour les. autres des secours pareils.

Ces trois hommes furent l'amateur, le philosophe et le critique.

Il n'étoit pas facile que les deux premiers se trompassent dans leur manière de sentir et de raisonner. Dans les observations du critique, au contraire, tout dépendoit de la justesse de leur application à chaque cas particulier et comme parmi les critiques, il en est cent qui n'ont que de l'esprit, pour deux qui sont doués d'une sagacité véritable, c'eût été un prodige qu'ils eussent toujours appliqué leurs règles, avec la précaution nécessaire pour tenir la balance égale entre les deux arts.

Apelle et Protogène composèrent des écrits sur la peinture, qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. On peut supposer qu'ils y avoient éclairci et confirmé les règles de leur art, par celles de la poésie, déjà fixées. Mais on peut croire avec certitude qu'ils l'avoient fait avec cette sobriété, cette précision, que nous remarquons encore aujourd'hui dans les ouvrages d'Aristote, de Cicéron, d'Horace et de Quintilien, lorsqu'ils appliquent à la poésie ou à l'éloquence, les expériences et les principes de la peinture. C'est le privilége des anciens d'avoir

traité de chaque chose avec la mesure convenable.

Mais nous avons souvent cru, nous autres modernes, que nous surpasserions de beaucoup nos maîtres, si nous convertissions en grandes routes battues, les petits chemins écartés où ils ne faisoient que des promenades; au risque même de voir les véritables grands chemins plus sûrs et plus directs, changés à leur tour en simples sentiers.

Jamais, sans doute, aucun livre didactique de l'antiquité n'admit en principe la brillante antithèse de Simonide: que la peinture est une poésie muette, et la poésie une peinture parlante. Cette idée ressemble à beaucoup d'autres du même auteur. Elle a son côté vrai si lumineux, qu'on croit devoir passer sur ce qu'elle porte d'ailleurs avec elle de faux et d'indéterminé.

Les anciens cependant ne s'y trompèrent pas. Ils bornèrent la décision de Simonide à l'effet pareil que produisent les deux arts; et ils eurent soin d'observer que, malgré cette ressemblance parfaite de leurs effets, ils différoient non-seulement dans le choix

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