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Mais l'administration elle-même avait renoncé à exécuter strictement cette ordonnance, devant les bonnes raisons données par les paysans pour garder leurs armes, et transmises au commandant par les recteurs et les subdélégués.

Nous retrouvons dans les cahiers toutes ces raisons invoquées par les paysans qui se plaignent vivement des «< saisies d'armes opérées chez eux par les seigneurs ou leurs valets (1).

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Ils prétextent la nécessité où ils sont de défendre leur maison contre les voleurs, leurs bestiaux contre les loups, de se défendre eux-mêmes contre les chiens enragés (2). Dans certaines paroisses voisines de la côte, on craint une descente des Anglais (3). D'autres mettent en avant l'instruction militaire des paysans, << dans les campagnes on ne sait pas tirer un coup de fusil 4. » Mais il semble bien que ce soit surtout en vue de la chasse que les paysans tiennent tant à leurs fusils. On demande, en effet, qu'il soit permis de tirer sur les oiseaux, en prévenant le seigneur (5). » D'autres veulent « tuer... même des perdrix, vu le dégât qu'elles causent aux récoltes. » On voudrait enfin le droit de tirer sur des lapins(6), sur des pigeons (7) et en général le droit pour le laboureur « d'écarter de ses champs les animaux qui seraient dans le cas d'endommager les récoltes (8). >>

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C'est en somme demander le droit de chasse. En quelques assemblées, on émet le vœu qu'on « mitige les peines >> contre les braconniers (9).

(1) Cah. de Québriac, Saint-Domineuc, etc., etc.

(2) Cah. de Visseiche, La Chapelle-du-Lou.

(3) Cah. de Pléboulle, Plévenon.

(4) Cah. de Trévérien. Le cahier de Pluvien demande même qu'il soit ordonné, en temps de guerre, à tous les habitants de la côte d'avoir chez eux un fusil avec dix coups à tirer pour secourir les bâtiments qui peuvent s'échouer, poursuivis par l'ennemi.

(5) Cah. de Villepot.

(6) Cah. de Montreuil-sur-Isle.

(7) Cah, de Guignen.

(8) Cah. de Saint-Germain-sur-Isle, Talensac.

(9) Parce qu'il est contraire à la justice vindicative qu'on inflige à un homme qui aura tué un lièvre ou un pigeon la punition dont on frappe avec raison un malfaiteur nuisible à la société. » (Cah. de Villepot) — Cf. aussi Cah. de Martigné-Ferchaud.

Beaucoup de cahiers réclament la suppression du droit de chasse des seigneurs (1). On voudrait sa suppression complète pendant certaines saisons de l'année (2). On propose de le réglementer (3), de l'étendre à tous (4). Mais le plus souvent on demande que la chasse soit considérée comme un droit naturel (5) et rendue domaniale, c'est-à-dire permise à tout citoyen sur ses propriétés 6).

Il en est de même de la pêche, exclusivement réservée aux seigneurs.

C'est, comme la chasse, un droit naturel (7), et l'on se plaint du privilège « que se sont attribués les seigneurs dans les rivières publiques (8). » C'est quelquefois une source de revenus réguliers pour les seigneurs qui « l'afferment très cher (9). Dans certaines paroisses, les deux tiers des habitants en vivent (10).

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Quand les nobles exercent eux-mêmes leur droit de pêche, c'est l'occasion de vexations continuelles pour les riverains. Les seigneurs, (( qui font des procès aux roturiers quand ils se permettent de tendre des engins vis-à-vis de leurs terres, »> << tirent eux-mêmes avec leurs filets de la vase et du sable sur les prairies, » quelquefois quand « les paysans sont à la veille d'y mettre la faux (11). »

On demande que la pêche soit permise «< comme dédommagement (12) » aux riverains (13), ou même « à tous les roturiers, après la récolte des foins (14) »

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(1) Cah. de Montauban, Mont-Dol, etc., etc.

(2) Cah. de La Chapelle-Blanche, Saint-Judost.
(3) Cah. de Martigné-Ferchaud et surtout Romillé.
(4) Cah. de Talensac.

(5) Cah. de Médréac, Plancouet, Talensac.

(6) Cah. de Saint-Erblon, Goven et passim.

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Les seigneurs qui tiennent beaucoup à ce droit de pêche(1), considèrent qu'ils ont « un droit de propriété sur les ruisseaux et petites rivières au point qu'un seigneur confisque de plein droit à son profit, les filasses qu'on y met à rouir (2). »

C'est là pour les paysans, un inconvénient des plus graves qui découle du droit exclusif de pêche réservé aux seigneurs. L'industrie des toiles de Bretagne était une des richesses du pays; en certains cantons, un grand nombre d'habitants n'avaient pas d'autres ressources que la culture du lin.

Mais les filasses qu'on mettait à rouir dans les rivières faisaient périr le poisson. Aussi, comme une ordonnance l'interdisait, les seigneurs s'emparaient-ils du lin qu'on y déposait(3). Ils faisaient même des procès aux paysans(4).

Pourtant, on ne pouvait mettre le lin à rouir dans les abreuvoirs. « Quand on creuse des fosses, dans l'intérieur des champs pour rouir la filasse, les bestiaux y vont boire et périssent (5). » Aussi réclame-t-on avec insistance, la permission d'user des rivières comme de « rhutoirs (6).

(A suivre.)

(1) « Il y a de pauvres gens qui n'ayant pas de pain, de quoi vivre, font des filets pour prendre des poissons dans la rivière. » Les seigneurs vont chez eux, hachent leurs filets par morceaux, ou bien les font emporter à leurs châteaux et même menacent les vassaux de les tirer de coups de fusil et de les punir par autre voie. » (Cah. de Trévérien).

(2) Cah. de Caulnes.

(3) Cah. de Guitté.

(4) Cah. de Pluduno.

(5) Id.

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(6) Cah. de Bréteil. On demande (art. 14) le droit de pêcher dans les rivières, et « que la loi qui défend d'y mettre du lin à tremper, très gênante pour cette province qui fait un grand commerce de fil soit abolie, attendu que n'ayant dans bien des endroits, point de rhutoirs, et en d'autres quelquefois qu'un même pour toute une paroisse, elle met des entraves au commerce, et l'air infecté qui s'exhale de ces eaux dormantes peut occasionner des épidémies, ce qu'on n'a point à craindre dans les rivières où l'eau se renouvelle à tout instant, et où l'expérience prouve qu'elle ne s'imprègne pas assez des parties nuisibles du lin pour faire périr le poisson qui, d'ailleurs, serait une perte trop légère pour pouvoir contrebalancer les avantages de ce commerce. »

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LA JUSTICE SOUS JEAN V

I. Dans ses domaines, le duc rend la justice plus régulière et la surveille; il la retient parfois et l'exerce lui-même par les évocations, lettres d'état, annulations, etc. II. Il continue à empiéter sur les justices seigneuriales; pour les justices ecclésiastiques, s'il n'obtient guère de résultats réels, il prépare des réformes futures. III. Par tout le duché, il réglemente la justice, promulguant des ordonnances qui intéressent indistinctement tous les tribunaux. Jean V est vraiment le représentant de la justice par tout le duché.

Jean V s'efforce de dominer et de diriger partout la justice dans son duché. Non seulement il y réussit aisément dans ses domaines, mais il y parvient, sans grande peine, dans les domaines des seigneurs et tend à restreindre les droits traditionnels des clercs. Il promulgue même des ordonnances générales qu'il impose indistinctement à tous les tribunaux, étendant ainsi habilement et sagement sa haute autorité.

I

La justice ducale est alors normalement organisée (1). Au degré inférieur se trouvent les prévôts; cependant ils n'existent pas partout, car si on en trouve à Nantes, à Guingamp, à Guérande, etc., on en chercherait vainement un à Rennes, à cette époque (2). Au-dessus d'eux, dans chacune des huit circonscriptions d'appel qu'on nomme baillies (3) sont les sénéchaux avec les alloués ou baillis, leurs lieutenants. Les alloués, sans doute assez assidus à leurs fonctions, les abandonnent, du moins, rarement, pour aller siéger au conseil ducal (4). Les sénéchaux qui, d'ailleurs, ne sont plus toujours exclusivement occupés à des fonctions judiciaires (5), sont peu coutumiers de la résidence; les plus importants d'entre eux, les sénéchaux de Rennes et de Nantes, sont souvent auprès du duc (6).

Des sentences rendues par les juges ducaux inférieurs, on en appelle au sénéchal de chaque baillie, qui tient à des époques déterminées des plaids généraux (7); du tribunal principal de chaque baillie, les justiciables, ceux de la baillie de Nantes

(1) Cependant il existe encore assurément à cette époque quelques incertitudes, par exemple dans les rapports des justices entre elles. Pierre II doit préciser leurs droits. Cf. PLANIOL, op. cit., Ass., n° 81, p. 432.

(2) La prévôté de Rennes fut créée en 1457. Cf. PLANIOL, op. cit., Ass. et Const., no 83, pp. 438 et sqq.

(3) TRÉVÉDY. Organisat. judic. de la Bretagne. Rev. Hist. du Droit, 1893, p. 200.

(4) On ne voit que fort peu souvent des alloués parmi les signataires des Mandements de Jean V.

(5) Mand. de Jean V, no 1660, loc. cit., t. VI, p. 169. « Ont esté et sont commis à faire l'information de la diminucion des feuz ès paroaisses... en Léon le président; en Cornouaille le seneschal... et en Nantays, le seneschal et alloué du d. lieu. » Mand, de Jean V, no 1622, loc. cit., t. VI, p. 151. « A ce que ceste nostre presente ordrennance [sur la levée des francs archers] soit mielx et plus promptement exécutée, commectons... en l'évesché de Léon noz amiral et président... en l'évesché de Cornouaille... notre procureur général en BasseBretagne... ou terrouer de Fougères, les chappitaine et seneschal desd. lieux. » (6) Mand. de Jean V, loc. cit., passim.

(7) Cf. même chap. I et PLANIOL, op. cit., Ass. et Const., no 50, art. 6, 7, 8, p. 375; art. 16, p. 378.

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