Imagini ale paginilor
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c'est un sentiment héroïque qui nous arrache à nousmêmes pour nous enchaîner au bien public: mais ces sentiments énergiques les demanderez-vous à ces hommes énervés dès le berceau? exigerez-vous que pour l'amour de la patrie de jeunes Adonis aillent exposer à l'ardeur du soleil la fraîcheur de leur teint? accoutumés à reposer sur le duvet, pourront-ils se résoudre, pour l'amour de la patrie, à coucher sur la dure? enfin, habitués à rechercher toutes les commodités de la vie, seront-ils capables de l'amour de la patrie qui exige quelquefois le sacrifice de la vie même? Jugez-en par des exemples: à Sybaris, les enfants, élevés au milieu des chants mélodieux et des fêtes voluptueuses, respiroient en naissant l'air du plaisir: à Lacédémone, la plus austère discipline présidoit à l'éducation d'une jeunesse laborieuse, qui apprenoit à braver la mort, dès qu'elle commençoit à jouir de la vie. Je vous laisse à penser quelle est celle de ces deux villes où les enfants expiroient avec plaisir pour la cause commune, et où les mères en remercioient les dieux? Ah! c'est que la mollesse des sens se communique à l'ame, c'est qu'en se rendant incapable de servir la patrie, on se rend bientôt incapable de l'ai

mer.

Mais je l'ai déja dit, l'amour de son pays est un sentiment héroïque qui exige une ame forte. L'amour de Thumanité qui nous est si naturel, et qui n'exige qu'une ame sensible, ne sera-t-il pas plus respecté par cette molle éducation? Je remarque au contraire que ces enfants si voluptueusement élevés sont sans pitié, sans entrailles: eh! comment plaindroient-ils des maux dont ils n'ont pas l'idée? accoutumés à ne se repaître

T. I. POÉS. FUG.

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que d'idées agréables et de sensations délicieuses, leur imagination même se refuse autant que leur cœur aux misères d'autrui; ou, si elle excite en eux quelque sentiment, c'est plutôt celui du dégoût que de la pitié, et l'aspect de l'indigent force leurs superbes regards de se détourner sans forcer leurs avares mains à s'ouvrir.

Je ne parle pas des devoirs sacrés d'amis ou de parents: quel est celui qui les remplit dignement? C'est celui qui les regarde moins comme des obligations pénibles que comme les plus nobles besoins de l'humanité. Mais pour penser ainsi, il faut des ames saines et pures, que le goût frivole des amusements étrangers à la nature de l'homme n'ait point encore corrompues. Fermez donc à vos enfants par une éducation sagement sévère la route des faux plaisirs; et comme l'ame a besoin d'aimer, leurs sentiments reflueront comme d'eux-mêmes vers les véritables voluptés. Si au contraire vous laissez entamer leur cœur par la licence d'une jeunesse négligée, c'en est fait! n'espérez plus les trouver sensibles aux charmes de l'amitié et des attachements légitimes: épuisant dans de criminels plaisirs toute la sensibilité de leur ame, ils ne conserveront pour les plaisirs innocents qu'un cœur sec et aride; pareils à ces fleuves qui, forcés par l'art de s'égarer dans des canaux détournés, laissent à sec le lit que leur avoit creusé la nature.

Ceux mêmes auxquels ils devroient être attachés par le plus grand de tous les bienfaits, par celui de la vie, pensent-ils par une indulgente facilité s'assurer leur reconnoissance? Vous vous étonnez quelquefois, pourroit-on leur dire, de voir vos caresses repoussées

par l'ingrate insensibilité de vos enfants. Mais c'est àla-fois l'effet naturel et le juste châtiment de votre aveugle complaisance pour eux: lorsque, instruits à n'ai mer qu'eux-mêmes, ils sont indifférents pour vous; lorsque portant dans leur sein le feu des passions, ils accusent en secret ceux qui l'ont nourri par leur foiblesse; lorsque accoutumés à satisfaire tous leurs desirs, ils vous regardent, dès que vous voulez vous y opposer, comme des surveillants importuns; lorsque de cet amour des plaisirs passant à celui des richesses qui les procurent, ils osent peut-être (je frémis de le dire) hâter par des vœux dénaturés la dépouille paternelle; qu'avez-vous à vous plaindre? le ciel n'est-il pas équitable, en payant par la haine barbare des enfants l'amour encore plus barbare des pères?

J'en pourrois dire autant de ces parents ambitieux, qui ne voient dans leurs enfants que de vaines idoles qu'ils s'empressent de décorer, pour se faire honorer en eux; n'aimant leurs enfants que pour eux-mêmes, qu'ils n'en attendent pas de retour. Agrippine, la plus ambitieuse des femmes, fut la mère de Néron, le plus ingrat des fils.

La seconde partie d'une éducation forte et mâle, je l'ai fait consister dans des préceptes capables d'élever et d'agrandir l'ame. Mais cette partie elle-même ne s'est pas bien garantie de la contagion; et bien loin d'oser faire pratiquer aux enfants la vertu, à peine oset-on leur en parler. On les entretenoit autrefois de l'amour des lois et de l'état : aujourd'hui ils n'entendent parler que de la nécessité de parvenir, et des moyens de s'avancer. Mon fils, dit un père de nos jours, songez à votre fortune; apprenez à plaire pour réussir, et

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soyez agréable aux autres pour être utile à vous-même. Mes enfants, auroit dit au contraire quelqu'un de nos bons aïeux, vous avez un cœur, c'est pour aimer la patrie; vous avez un bras, c'est pour la défendre; c'est pour elle que vous êtes nés; osez vivre, osez mourir pour elle. Faut-il s'étonner si des langages si différents produisent des effets si opposés?

On a cru pendant long-temps qu'on ne pouvoit de trop bonne heure inspirer aux enfants des sentiments d'humanité pour les malheureux, de tendresse pour leurs proches, d'attachement pour leurs amis. Qu'a-t-on fait depuis? on a substitué l'apparence à la réalité; au lieu de nous apprendre à être bons, on nous instruit à être polis. C'est chez des maîtres de graces qu'on apprend des leçons d'humanité! dès l'enfance, cet âge heureux de la naïve franchise, on nous exerce à nous attrister de l'infortune d'autrui sans douleur; à nous réjouir de leur bonheur sans joie. Aussi que voit-on sortir de cette école de fausseté? des manières obligeantes et des cœurs impitoyables. Généreuse amitié, qu'est devenu ton vertueux enthousiasme? Jamais on n'ouvrit avec plus d'empressement ses bras pour recevoir ses amis, et jamais on n'ouvrit plus lentement sa bourse pour les secourir. Les cris même du sang ont fait place aux beaux discours. Depuis qu'une éducation superficielle augmente le nombre des hommes polis, celui des enfants reconnoissants diminue: déja même les noms de père, de fils, d'époux, sont proscrits, diton, par mille gens du bel air; et ces titres précieux dont une raison plus éclairée devroit augmenter la sainteté parmi les grands, ne seront bientôt plus sacrés que pour l'aveugle instinct du peuple. Et voilà

l'ouvrage de cette éducation qui met tout en de vains dehors.... Ah! ne valoit-il pas mieux nous inspirer des sentiments de bonté, que de nous instruire à les contre-faire, et former des hommes vraiment sensibles que d'exercer de méprisables pantomimes!

Mais comme les plus belles semences, si, lorsqu'on les a confiées à la terre, la rosée céleste ne vient hâter leur fécondité, demeurent infructueuses; ainsi les germes de vertu se sécheront dans ces jeunes ames, si ce qu'a semé la sagesse humaine n'est fécondé par la religion; motif sublime! qui corrige la bassesse de nos affections en nous montrant la noblesse de notre origine; qui nous fait faire de grands efforts pour une grande récompense; et qui, pour en donner encore une plus haute idée, nous apprend à pardonner aux autres, et à nous humilier nous-mêmes.

Mais au lieu d'établir l'éducation sur ce fondement divin, sur quoi l'établit-on? sur la base fragile des bienséances humaines. On ne dit point aux enfants : Soyez religieux, mais on leur dit : Soyez décents. Pères imprudents! avec cette foible armure, voyons comment vos enfants soutiendront les assauts du vice! retenus d'abord par une hypocrite timidité, ils n'iront point braver par des désordres éclatants le public dont on leur apprit à redouter les regards; mais lorsqu'ils le pourront décemment, ils séduiront l'innocence, ils trahiront leur foi; et, pareils à ces fruits qui, quoique gâtés au-dedans, vous séduisent encore par un brillant coloris, sous cette écorce de décence, ils cacheront un abyme de corruption; et ce masque même qui sert du moins à cacher la laideur du vice, ne croyez pas qu'ils le portent long-temps. A peine auront-ils connu les

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